Le constructeur automobile japonais Toyota a signé le 13 décembre 2017 un partenariat majeur avec le géant des batteries japonais, Panasonic. Cette alliance Toyota-Panasonic, qui a pour but de développer les batteries pour voiture électrique, est loin d’être un simple coup de communication. Elle a été suivie de plusieurs annonces majeures que je vous propose d’analyser.

Plusieurs annonces majeures ont donc suivi l’annonce de Toyota et Panasonic : réorganisation interne de Toyota, objectif de vente de 5,5 millions de voitures électriques d’ici 2030, électrification de tous les modèles d’ici 2025. On peut se demander si derrière ces annonces à couper le souffle, c’est Toyota qui ambitionne d’être le prochain leader des voitures électriques ou bien si c’est pour Panasonic la reprise du leadership des batteries face au coréen LG Chem. Quelle est la part de l’Etat japonais derrière cette stratégie de partenariat ?

Fini de rire ! Ou plutôt, fini l’indifférence. En deux semaines, le constructeur japonais qui fabrique plus de 10 millions de voitures par an, n’a cessé de multiplier les annonces en faveur des voitures électrifiés et le plus surprenant pour les connaisseurs de la marque: concernant les voitures électriques.

La signature de l’alliance Toyota-Panasonic : quid de Tesla ?

Tout a commencé le 13 décembre quand Toyota et Panasonic ont organisé une conférence de presse commune afin d’entériner leur accord de création d’une entreprise commune développant les batteries lithium (de forme prismatique) pour l’usage automobile :

En effet, dans le monde automobile, on connaissait surtout Panasonic pour son partenariat avec le constructeur américain Tesla, depuis 2010.
Le fabricant japonais fournit à Tesla les accumulateurs cylindriques 18650, mais il co-construit aussi avec lui la fameuse «Gigafactory» au Nevada, capable de produire 35 GWh de batterie par an.

À noter que dans le monde de batterie, les accu 18650 de Panasonic sont réputés être très homogènes dans leur propriété, en dehors du fait qu’ils offrent la meilleure densité énergétique. Cette homogénéité, fruit d’une qualité de production très soignée, est garant d’une performance régulière et d’une sécurité contrôlée du système de batterie de traction.

Panasonic fournit des accumulateurs cylindriques 18650 à Tesla

Mais Panasonic était un partenaire de plus longue date avec Toyota : depuis 1996, leur co-entreprise Primearth EV energy a déjà produit plus de 12 millions de batteries pour les véhicules hybrides Toyota. Si l’usine était destinée à produire les batteries NiMH, une ligne de production (sur quatre) est déjà affectée à la production de batteries lithium, comme celles utilisées par les Prius+ ou les Prius 4 version Eco (non disponible en Europe).

Le nouvel accumulateur prismatique lithium ion de Panasonic (5Ah, NMC), utilisé dans la batterie de la nouvelle Prius 4

Grâce à l’indiscrétion d’un journaliste (lire son billet sur DailyKanban), on sait désormais qu’il y a quelques années, Akio Toyoda (PDG de Toyota) avait invité Kazuhiro Tsuga (PDG de Panasonic) dans la maison de son arrière grand-père, fondateur de Toyota (c’est aujourd’hui un musée que l’on peut visiter). Il y a bien un vrai lien personnel et fort entre ces deux dirigeants japonais qui partagent d’ailleurs un passé commun : tous les deux ont fait leurs études universitaires aux Etats-Unis.

Et quand un journaliste pose la question : « Et Tesla ? », Kazuhiro Tsuga, gêné aux entournures, affirme que pour survivre, un constructeur doit offrir le meilleur du marché, « mais la définition du meilleur peut changer. Actuellement le meilleur du marché est 18650 et 2170 et ils sont utilisés par Tesla ». Puis il dit :

Mais si vous regardez le futur, où est la croissance ? Quel constructeur existant jouera le rôle leader ? Quel sera le type de batterie dont il aura besoin?

Visiblement, Panasonic insinue que la grosse croissance du business des batteries automobiles sera surtout portée par Toyota et il confirme par ailleurs que les accumulateurs prismatiques sont mieux taillés pour les voitures. En effet, comme les batteries plates de nos téléphones, la forme des accumulateurs prismatiques permettent d’avoir une capacité supérieure dans un volume réduit.
Et surtout le coût d’assemblage peut être considérablement réduit, par rapport aux accumulateurs cylindriques. A l’échelle industrielle, ce n’est pas la même histoire entre souder 96 accumulateurs (batterie de BMW i3) entre eux et 4416 accumulateurs pour Tesla Model 3.

À gauche, architecture de batterie Tesla S (accu cylindriques) et à droit architecture plus classique de BMW i3 (accu prismatique)

Or Tesla n’a jamais voulu des accumulateurs prismatiques et sa Gigafactory est entièrement conçue pour la production d’accumulateurs cylindriques :

Et cet avantage technologique de la nouvelle alliance Toyota-Panasonic sur Tesla ne s’arrête sans doute pas là : quand les deux partenaires japonais auront commercialisé la batterie solide d’ici 2025, le fossé technologique énorme entre Toyota et Tesla se creusera en faveur du premier. Mais comme tout progrès technologique (souvent de forme hélicoïdale), il est encore trop tôt pour juger !

 

Les véritables enjeux de l’alliance Toyota-Panasonic : sécuriser l’approvisionnement

Ce dont on peut être sûr, c’est que derrière cette alliance Toyota-Panasonic, c’est avant tout l’envie de sécuriser l’approvisionnement en matières premières de batterie.

Je reprends le discours d’Akio Toyoda (ici en anglais) :

To solve issues currently confronting us worldwide, such as global warming, air pollution, the depletion of natural resources, and energy security, it will be necessary to further the popularization of electrified vehicles. In accomplishing such, when it comes to automotive batteries, which will represent a key component of electrified vehicles, it can be said that further evolution in terms of performance, pricing, safety, and the securing of a stable supply capacity are pressing issues. Recognizing this, both companies intend to broadly study concrete areas of collaboration from automotive prismatic lithium-ion batteries to next-generation batteries such as solid-state, including procurement of the resources for such, all the way to re-use and recycling.

On notera que le PDG de Toyota a insisté à deux reprises sur l’approvisionnement : l’enjeu pressant de «sécuriser une capacité d’approvisionnement stable» et étudier la collaboration en matière d’«approvisionnement des ressources pour les batteries».

En effet, face à la déferlante ascension des constructeurs coréens de batteries , notamment LG Chem, les industriels japonais ont de quoi être inquiets.

Sur le marché de la batterie automobile, LG Chem est clairement en train de mener la danse : quasiment toutes les nouvelles voitures électriques ou hybrides rechargeables (sauf Tesla ou les marques chinoises) s’équipent de batterie coréenne : GM Volt 2, GM Bolt, Renault Zoe, Smart EV, Volvo XC90, sans parler évidemment les voitures coréennes comme Hyundai Ioniq ou Kia Optima… tout comme BMW i3 qui est équipée aussi de batteries coréennes Samsung SDI.

Liste des véhicules utilisant les batteries LG Chem

Pour dire à quel point la situation est devenue critique pour les japonais : même Nissan, qui possède une co-entreprise de production de batteries (AESC) avec NEC, a reconnu que LG Chem est actuellement, de loin, le meilleur fournisseur de batterie.

Ayant le vent en poupe, LG Chem ne cache pas ses ambitions de rester leader dans la fabrication de batteries pour accompagner la montée en puissance des véhicules électrifiés (hybride, hybride rechargeable et électrique) : l’équipementier coréen est en train de doubler ses capacités de production partout, en Pologne, aux Etats Unis, en Chine pour arriver à fournir les batteries à 280 000 véhicules électriques par an.

Usine d’assemblage de batterie de LG Chem en Michigan (Etats Unis)

La situation est donc assez critique pour Panasonic, le leader japonais en fabrication de batteries. Alors que LG Chem est en train de prendre le marché de tous les grands constructeurs automobiles (Daimler, Ford, GM, Kia-Hyundai, Renault-Nissan…), Panasonic commence à regarder de façon inquiète ses deux clients : Tesla l’américain funky qui est en train de cramer sa réserve de cash à vitesse grande V, et Toyota, son vieux « pote » qui ne pense qu’à s’éclater avec les voitures pile à combustible hydrogène (sous la politique économie hydrogène du gouvernement japonais).

Et de manière globale, même si l’économie hydrogène correspond parfaitement aux intérêts du Japon, elle peine à prendre de l’ampleur dans le Monde.
Un important marché des batteries est donc en train de glisser entre les doigts des japonais… Je ne doute pas que le très puissant ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI, 経產省), qui dirige de manière indirecte la stratégie des grands groupes japonais, aurait favorisé cette alliance Toyota-Panasonic pour contrer l’expansion de l’économie coréenne.

En effet, une guerre industrielle sans bruit ni odeur, mais sans merci, se déroule entre le Japon et la Corée sur le marché mondial : après avoir perdu définitivement la bataille des smartphones (Sony vs Samsung), prendre la revanche en construction navale (Kawasaki/Mitsubishi vs Daewoo/Hyundai/Samsung) et maintenir la supériorité en automobile (Toyota/Honda/Nissan vs Hyundai/Samsung), le pays du soleil levant ne peut pas baisser les bras sur le marché des batteries, un enjeu capital pour l’avenir.

Sécuriser l’approvisionnement des matières premières constitue un enjeu majeur pour être leader en fabricant de batterie

Mais pour être leader et répondre au besoin de l’explosion des demandes de voitures hybrides, hybrides rechargeables et électriques des constructeurs, il faut avoir suffisamment de capacité de production de batteries Lithium-ion (= nombre d’usines) et de pouvoir sécuriser l’approvisionnement en matières premières.

Une voiture électrique a besoin d’une centaine de kilos de matière de cathode (lithium, nickel, cobalt…), plusieurs kilos dans le cas d’une voiture hybride. On estime que la demande en matériaux va être multipliée par 7 d’ici 25 ans (lire l’article Nikkan). Il faut donc pouvoir «réserver» ces matériaux, auprès des entreprises comme Sumitomo Metal Mining (qui fournit NCA à Tesla) pour faire tourner les usines. Rappelons que le groupe Volkswagen n’a, pour le moment, pas réussi à trouver d’accord auprès des fournisseurs du secteur minier.

Et pour pouvoir construire de nouvelles usines, négocier des contrats avantageux auprès des mines, il faut … des commandes, beaucoup de commandes !

On comprend désormais pourquoi, cinq jours après l’annonce de l’alliance Toyota-Panasonic, le constructeur japonais a fait un revirement important en annonçant (lien du communiqué complet) :

  • 10 modèles de voitures électriques disponibles d’ici 2020 : en priorité le marché chinois, puis «graduellement» le Japon, l’Inde, les Etats-Unis et l’Europe
  • Un objectif d’écouler 5,5 millions de voitures électrifiées par an d’ici 2030, dont 1 million de voitures zéro émission (voiture électrique et voiture pile à combustible hydrogène)

Toyota et les voitures rechargeables, c’est parti?

 

Toyota et la voiture électrique : le mariage forcé ?

Au premier regard de l’annonce, on se dit «Wow les choses bougent!», mais en réalité, on ressent tout de même une certaine réticence de Toyota dans cette annonce :

Et quand on regarde les modèles de voitures électriques que «Toyota» a exposé au salon automobile chinois : on s’aperçoit que ce sont des voitures existantes, conçus par les constructeurs chinois locaux (GAC à gauche, et FAW à droite), et Toyota n’a même pas mis son emblème sur le véhicule.

Cela en dit long sur l’attitude de Toyota sur les prochaines voitures électriques qu’il déploiera en Chine…
Ce sera, sans doute, juste des voitures fabriquées par son partenaire local, équipée de batteries fabriquées par la nouvelle usine de Panasonic à Dalian (Chine) et rebadgé Toyota pour répondre au quota imposé par les autorités chinoises.

Les deux concept car électriques de Toyota au salon automobile en Chine

Au fond, toute l’entreprise Toyota conserve un esprit de méfiance envers la voiture électrique.

L’interview de Takeshi Uchiyamada (président de Toyota, père de Prius) donné à Nikkei en novembre 2017 (!) montre le véritable état d’esprit du constructeur : selon lui, le coût des voitures électriques restera très élevé et son marché ne connaîtra pas autant de croissance que certains analyses estiment. C’est d’ailleurs pour cette raison que Toyota a formé un partenariat avec Mazda et Denso, pour pouvoir mutualiser les coûts des composants des voitures électriques, avec un volume de vente estimé faible!

Dans ce même interview, Takeshi Uchiyamada estime que le décollage des voitures pile à combustible hydrogène aura lieu en… 2030. Soit la même année que Toyota annonce l’objectif d’écouler 1 million de voitures zéro émission par an… En effet, il estime que 2030, c’est 10 ans après le quota imposé par le gouvernement chinois et on aurait assez de recul sur l’expérimentation grandeur nature des voitures électriques, et pendant ce temps, les stations hydrogène seraient aussi opérationnelles (au Japon). Selon lui, les voitures hybrides et hybrides rechargeables seront encore l’épine dorsale durant de nombreuses années.

Primearth EV EnergyBref, vous avez compris, l’annonce de Toyota n’est pas vraiment un revirement de stratégie mais plutôt un coup de pouce à son partenaire de longue date : Panasonic.
Avec ce soutien public d’un constructeur qui construit plus de 10 millions de voitures par an (et 5,5 millions de voitures électrifiées qui s’équiperont de batterie Panasonic), le fabricant de batteries japonais a donc suffisamment de visibilité pour mieux négocier des accords d’approvisionnement de matières premières et ainsi organiser et rationnaliser sa capacité de production.
La guerre ne fait donc que commencer entre Panasonic et LG Chem !

Pour terminer, je ne suis pas en train de dire que Toyota ne fera pas de voitures électriques mais ce ne sera sûrement pas la déferlante qu’on aurait pu croire en lisant le communiqué. Car il faut, bien-sûr, prendre en compte la philosophie plus agile de Didier Leroy (seul européen dans l’état major Toyota) et l’envie d’être plus agile de Akio Toyoda. Toyota a d’ailleurs réorganisé la structure du groupe au début du mois de décembre, pour que l’organisation tourne autour du produit qu’il commercialise et stimuler les innovations. Il y a peut-être là une envie de franchir une certaine résistance interne sur le développement de la voiture électrique.

Et vous, que pensez-vous de cette alliance Toyota-Panasonic et des annonces de Toyota en matière de voiture électrique ?

 

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