Aujourd’hui étant la journée de la femme, j’aimerai vous parler de Dorothée Pullinger, décédée il y a exactement 30 ans.
Cette femme ingénieure pionnière a développé le premier véhicule conçu pour les automobilistes féminines, le Galloway.
Dorothée et ses femmes ouvrières vont réussir à marquer l’histoire automobile : « Non, la voiture n’est pas qu’une histoire de mec »…

Galloway Cars – construit par des dames à Kirkcudbright
Parcours d’une combattante
Née à Saint-Aubin-sur-Scie (Haute Normandie), Dorothée Aurélie Marianne Pullinger a déménagé avec sa famille, au Royaume Uni, dès l’âge de 8 ans.
À 16 ans, elle deviendra dessinatrice industriel (projeteur) chez Arrol-Johnston, le plus ancien et le plus important constructeur automobile écossais, dont son père est directeur.
D’après le témoignage de son fils, Dorothée a mis beaucoup de temps à convaincre son père. D’ailleurs, son père a raconté plus tard aux journalistes :
Je lui ai dit qu’aucune femme ne pourra être ingénieur, et qu’elle ferait mieux d’apprendre la sténographie (pour être secrétaire).
Pourtant, avec ses credo «La vie et ses défis, on les affronte» et «Tu suis les choses auxquelles tu crois», Dorothée Pullinger sera de plus en plus reconnue dans son domaine.
En 1914, avant la guerre, elle postulera pour rejoindre l’institution des ingénieurs automobiles (Institution of Automobile Engineers), mais sa demande se verra refusée au motif «qu’une personne signifie un homme et non une femme.»
Mais avec la première guerre mondiale, son talent d’ingénieur lui vaudra la responsabilité d’être en charge de 7000 femmes ouvrières, dans une importante usine de fabrication de munitions explosives.

Usine de munition Vickers à Cumbria
Après la guerre, son efficacité lui permettra d’intégrer l’institution des ingénieurs automobiles en tant que première femme membre, et Dorothée Pullinger sera également décorée par la médaille MBE (membre de l’Excellentissime Ordre de l’Empire Britannique).
Dans les années 20, elle retournera chez Arrol-Johnston et prendra en charge Galloway, une filiale qui servait à produire des composants aéronautiques.
Elle réussira à convaincre son père de la garder comme une usine automobile et offrira des emplois à un grand nombre de femmes.

Usine de Galloway à Tongland – Ecosse
Pour la presse, cette usine gouvernée par les femmes est un véritable choc, à la fois parce que ce sont des femmes, mais aussi par ce qu’ils voient:
Wonderful was the cleanliness and orderliness of the factory – no dirt, no oil reek, no piles of rubbish.
Warmed by electric radiators and perfectly ventilated, it seemed an ideal “shop” indeed for women engineers
En gros, comparé à une usine gérée par des mecs, c’est propre et super bien rangé !
Sur le toit de l’usine, on a fait installer deux terrains de tennis. Cette ambiance pionnière « bien être des salariés » a de quoi réduire à néant la fierté des géants de Silicon Valley.
Dorothée a également instauré un «collège d’ingénieurs» pour les dames, dont la durée de formation est de 3 ans, contre 5 ans chez les hommes.
Pour elle, les femmes apprennent bien plus vite que les hommes.
D’ailleurs, Pullinger croit aussi que les femmes sont plus minutieuses que les hommes, et font moins d’erreur sur la chaîne de montage.
Des pensées très controversées à l’époque, mais qui deviennent aujourd’hui une vérité reconnue (les usines de mécanique de précision, type horlogerie, emploient en priorité les femmes…).

Panneau de Galloway est au couleur de Suffragette, un mouvement pour revendiquer le droit de vote des femmes
Galloway, car built by ladies for ladies
Galloway aura en tout développé deux véhicules, Galloway 10/20 et Galloway 12 (et les variantes 12/30, 12/50).

Voiture Galloway
De design général assez proche de Fiat 501, les Galloways sont des véhicules dont l’ergonomie est optimisée pour une femme conductrice.
En effet, à l’époque, les sièges à hauteur réglable sont inexistants, la hauteur et la profondeur d’assise sont fixes dès sortie d’usine.
Ce qui veut dire qu’une femme qui fait à peu près 1 mètre 60 ne peut rien manipuler dans une voiture.

Bentley 4 1/2 litres – 1930
Pire encore, sur certains véhicules, les leviers de vitesse et le levier de frein se trouvent à l’extérieur (comme la Bentley ci-dessus), les dames avec leur robe longue ont alors un mal fou à accéder au poste conducteur.
Galloway a alors amélioré beaucoup d’aspects pour faciliter la conduite des femmes:
- Dimension plus petite et plus légère
- le levier de vitesse est placé près du siège conducteur, au lieu d’être sous le tableau de bord.
- un moteur plus fiable
- le siège est rehaussé pour améliorer la visibilité
- le tableau de bord est rabaissé
- le volant est beaucoup plus petit
- le coffre plus volumineux (no comments…)
Ces améliorations d’ergonomie, pensée pour les femmes, vaudront cette remarque dans le magazine Light Car and Cycle (1921):
A car built by ladies, for those of their own sex.
Traduction: une voiture construite par les dames, pour celles du même sexe.
La fin d’un combat…
Malheureusement, je pense qu’à l’époque les automobilistes femmes sont encore trop peu nombreuses.
Après 4000 véhicules produits, Galloway déposera bilan et fermera ses usines…
Dorothée Pullinger deviendra commerciale chez Arrol-Johnston, mais là encore, on l’accuse de voler le travail d’un homme.
Lassée par ces accusations, elle se retira du secteur automobile pour créer une entreprise de blanchisserie près de Londres, qu’elle développera comme une entreprise d’ingénierie, en important les machines les plus innovantes des Etats-Unis et elle possédera en tout 17 magasins.
Pendant la seconde guerre mondiale, elle sera la seule femme consultée par le ministère de production, pour les problèmes industriels après guerre.
Même si la marque Galloway n’a pas survécu, Dorothée aura réussi à commercialiser une voiture conçue et fabriquée par des femmes, pour un public féminin.
À une époque où l’esprit macho règne, je n’ose même pas imaginer la pression qui pouvait peser sur elle, pourtant, elle l’a fait.
Source: BBC
Pour en savoir plus: A fine university for women engineers
C'est passionnant de connaître l'histoire de cette femme opiniâtre et douée qui plus est. Elle a apporté des éléments de méthode, de confort et d'ergonomie qui sont un standard aujourd'hui, c'est incroyable d'avoir eu une telle avance. Comme quoi, quelque soit l'équipe qui conçoit un objet ou une automobile, la vision alliée à la créativité et l'ingéniosité, probablement une émulation et une bonne dose de management, conduise à une telle réussite.
Bravo Félix 😉
D’où l’expression « voiture de chérie »… 🙂
D’ou les coffres dans le plancher, le rétroviseur intérieur supplémentaire pour surveiller les enfants, etc.
Pourtant il y a des associations comme Elles Bougent qui œuvrent pour orienter les filles vers la filière scientifique (dans le domaine du transport).
En effet beaucoup de filles ingénieurs sont dans les écoles de chimie / pharma, dans une école plus mécanique, le taux de fille tombe à 20%.
Et l’histoire de cette voiture Galloway montre bien que c’est utile, personne avant elle avait pensé à mettre le levier de vitesse et le levier de frein à l’intérieur de la voiture!
Hortevin a dit
Je ne comprends pas pourquoi il a fallu que ce soit une femme qui y pense. Une explication ?
C’est ce qu’on appelle maintenant le "Pink Sourcing"
Ou encore, les hommes ont les muscles, et les femmes l’esprit …
Cela dit, sous couvert de ce risque loin d’être systématique, on les paye souvent moins cher… Et ça c’est pas normal.
Sandoli a dit
Remarque si on part par la on devrait alors payer moins cher tout ceux qui sont trop souvent absent pour "maladie" par exemple ( fleau dans bcp de grandes entreprises et surtout administration/service public ). Mais comme c’est souvent des mononeurones à testo qui squattent le pouvoir
ca risque pas d’arriver.
).
Dans ma boite heureusement les femmes ont vraiment le meme salaire pour le meme emploi ( et la grossesse considérée comme positive meme pour la vie de l’ entreprise et pas comme encore par trop de mecs débiles comme une maladie…
Oliewan a dit
Par analogie, qui serait mieux placé pour faire des propositions d’amélioration de l’accessibilité qu’un handicapé lui-même?
Cette jeune femme a eu plusieurs chances: être la fille d’un entrepreneur fortuné, des capacités intellectuelles remarquables, un caractère à tenir tête à l’autorité parentale, un contexte d’expansion industrielle automobile propice au développement de son idée.
Malgré cela, on comprend que c’est son caractère volontaire qui lui a permis de résister puis contourner les préjugés et stéréotypes de genre.
Je comprend que certaines féministes déplorent encore certaines résistances d’une majorité masculine dans le monde de l’entreprise mais c’est surtout le contexte familial et une éducation moins stéréotypée qui pourra laisser éclore le désir d’une petite fille d’inventer des trucs et des structures plutôt que se raconter des histoires de princesse ou de boniche et finalement de se choisir des études puis un métier technique.
Sandoli a dit
Cela dit, sous couvert de ce risque loin d’être systématique, on les paye souvent moins cher… Et ça c’est pas normal.
Je ne crois pas à une grille de salaire à l’embauche qui serait inégalitaire dans une grande entreprise.
En cours de carrière j’imagine que les interruptions pour grossesse, congé parental, absences liées aux enfants, une mobilité et flexibiltié plus délicate à mettre en œuvre pour cause de maternité peut à terme pénaliser l’évolution salariale, mais là il faut considérer qu’un père sachant lui aussi faire quelques sacrifices professionnels pourra limiter les conséquences familiales sur la carrière de son épouse.
Difficile de généraliser, toutefois, une cadre ayant plus de possibilité de déléguer ses tâches familiales et ménagères se rendra presque aussi disponible qu’un homologue masculin, seul le congé de maternité demeurant nécessaire et incessible….
Hors sujet: Plus bas dans l’échelle des salaires et emploi, une femme supportera plus souvent elle seule le poids de sa maternité et toutes ses conséquences, auxquelles s’ajoute hélas un emploi plus ou moins partiel, plus ou moins précaire qui l’expose plus encore en cas de séparation conjugale à des indispositions professionnelles plus fréquentes et aux sanctions pécuniaires qui en découlent.
Pour un employeur, après 30 ans d’expérience, j’ai pris la coutume de dire que l’employée idéale serait orpheline, stérile, ménopausée et lesbienne voire asexuée… Mais ce pragmatisme entrepreneurial est politiquement très incorrect… bien sûr…
mark13 a dit
Cette jeune femme a en plusieurs chances: être la fille d’un entrepreneur fortuné, des capacités intellectuelles remarquables, un caractère à tenir tête à l’autorité parentale, un contexte d’expansion industrielle automobile propice au développement de son idée.
Malgré cela, on comprend que c’est son caractère volontaire qui lui a permis de résister puis contourner les préjugés et stéréotypes de genre.
Je comprend que certaines féministes déplorent encore certaines résistances d’une majorité masculine dans le monde de l’entreprise mais c’est surtout le contexte familial et une éducation moins stéréotypée qui pourra laisser éclore le désir d’une petite fille d’inventer des trucs et des structures plutôt que se raconter des histoires de princesse ou de boniche et finalement de se choisir des études puis un métier technique.
Merci pour ta réponse
En fait ma question porte plus sur le fait que ça devait être une femme seulement qui aurait pu penser à l’amélioration du levier de vitesses. Selon l’article, un homme n’aurait pas pu y penser, à l’époque. Mais pourquoi ? Cela n’enlève rien aux mérites de cette femme ni au machisme des hommes de l’époque (et de la notre mais chacun est juge ^^). Le sujet est vaste…
mark13 a dit
Faut vraiment etre demeuré que de considérer cela je pense… Une ou un employe ideale represente rien car fondamentalement utopiste sortie de certaines theories qui auraient meme fait plaisir à pas mal d’extremistes de tout poil. Heureusement meme la Chine ne s’y resout pas . Mais c’est vrai que certaines patron francais y pensent eux…..tout comme un panel non negligeable de vieux sénateurs seniles de cette assemblée ( parole de "jeune" sénatrice !!!)