Si beaucoup considèrent Toyota Prius comme le premier véhicule hybride essence-électrique produit en série, sachez que cette place a été prise dès 1942 par Porsche Jagdpanzer Elefant, un engin blindé de 65 tonnes produit à 90 exemplaires. Conçu par Ferdinand Porsche, grand passionné de la technologie hybride, ce chasseur de char lourd sera propulsé par 2 moteurs électriques de 230 kW, dont l’énergie provenait d’un générateur électrique alimenté par 2 moteurs essence V12 de 300 Ch… peut-on dire que c’est l’ancêtre du BMW i3 REX ?

 Ferdinand Elefant

Pourquoi la technologie hybride essence-électrique pour un char ?

La réponse n’est finalement pas si différente qu’aujourd’hui : pour augmenter la fiabilité des véhicules blindés devenus de plus en plus lourd.

En juin 1941, en envahissant la Russie, l’armée allemande a eu une très mauvaise surprise : les tous derniers chars soviétiques conçus en secret, le char moyen T-34 et le char lourd KV-1.
Leur conception est beaucoup plus moderne que tous leurs homologues : ils sont à la fois mieux protégés (blindage deux à trois fois plus épais), plus mobiles (moteurs diesel pour une autonomie 2 fois supérieure, et de large chenille pour avancer dans la boue) et ils sont supérieurs en puissance de feu (canon gros calibre 76 mm).
Au combat, ils étaient immunisés contre tous les Panzers et les armes anti-chars allemands, à l’exception du canon anti-aérien 88 mm (dont les obus ont une vitesse initiale très élevée).

Char russe KV-1 et T34

Le char lourd KV-1 (gauche) et le char moyen T-34 (droite) bénéficient d’une conception nettement plus avancée que les allemands

Même si les allemands remportent plusieurs victoires, grâce à l’utilisation des canons anti-aériens 88 mm et à la supériorité tactique des troupes plus autonomes, la situation devient extrêmement préoccupante. Heureusement, les ingénieurs allemands travaillent déjà sur un projet de char lourd depuis 1937, et les retours d’expérience de la bataille de France (dont les chars lourds français B1 et britanniques Mathilda) vont pousser Hitler à exiger un blindage de plus en plus épais (passer de 50mm à 100 mm) et un armement de plus en plus puissant (un canon court 75mm puis un canon long 88 mm). La masse du char passe ainsi de 30 tonnes (1937) à 45 tonnes (1941)… Et due à la situation du front russe, on exige que les prototypes puissent effectuer une présentation dynamique le 20 avril 1942, jour de l’anniversaire d’Hitler. Les deux firmes en compétition, Henschel et Porsche GmbH, ont tout juste 11 mois devant elles pour concevoir l’un des chars le plus mythique de la seconde guerre mondiale : le Tigre

Panzer 3 Russie

En 1941, les chars allemands ne font pas plus de 20 tonnes… la tâche des ingénieurs allemands est énorme pour concevoir en si peu de temps une mécanique capable de faire avancer une masse deux fois plus élevée

Pour ce projet de char lourd de 45 tonnes, Ferdinand Porsche estime qu’une architecture mécanique classique ne sera pas capable d’encaisser un tel poids.
En effet, sur les engins chenillés, pour changer de direction ou pivoter, il faut utiliser un différentiel pour varier la vitesse de rotation des deux barbotins (les roues dentées qui entraînent la chenille, voici une vidéo de manœuvre du char Panther ). Associée à cela, la boîte de vitesse qui doit pouvoir changer les rapports et des aciers pas aussi résistants qu’aujourd’hui, il est vrai que la mécanique des chars de l’époque pouvait être fragile, si elle était mal conçue ou mal utilisée par des pilotes inexpérimentés. Si on prend l’exemple du char allemand Panther conçu dans la même période, son moteur essence V12 a une durée de vie moyenne de 724 Km, tandis que son talon d’Achille, le réducteur final dure en moyenne uniquement 150 Km (source).

Char Tigre - Transmission

Voici quelques images des éléments de transmission de son concurrent Henschel VK 45.01 (H) disposant une motorisation-transmission en mécanique classique, mais extrêmement complexe à fabriquer : sa boîte de vitesse Maybach (hydraulique et semi-automatique) dispose 8 rapports avant et 4 vitesses pour faire la marche arrière…et le pilote peut choisir 16 rayons de braquage différents.

Porsche choisit donc une idée totalement innovante : si chaque chenille est entraînée indépendamment par un moteur électrique, il suffit de varier le courant électrique fourni à chaque moteur électrique pour varier les vitesses de façon continue et modifier la vitesse entre les deux chenilles (afin de tourner le véhicule) ; on peut alors supprimer la boîte de vitesse et le système différentiel très complexe. Il adoptera alors une architecture hybride en série pour son prototype VK 45.01 (P) composée par :

  • 2 moteurs électriques Siemens-Schuckert D1495a : chaque moteur de 230 kW entraîne un côté de chenille
  • 2 moteurs essence V10 15 litres Porsche Type 101 (refroidissement à air) de 310 Ch entraînent chacun un générateur électrique Siemens-Schuckert aGV 275/24 de 275 kW
Porsche VK 45.01(P) Tiger (P)

Images du prototype VK 45.01 (P) : essai, assemblage et sa motorisation hybride Porsche

 

Test VK4501(P)

Lors des premiers essais, c’est l’ancien prototype thermique VK30.01(P) qui fournira le courant aux moteurs électriques du VK45.01(P), d’où le câble électrique entre les deux véhicules!

La compétition avec Henschel et la reconversion

L’hybride de Porsche affronte alors son rival thermique Henschel : les deux prototypes vont réaliser un parcours de 11 km depuis Rastenburg pour arriver à Wolfsschanze  (la Tanière du Loup, QG principal d’Hitler), le 20 avril 1942. Les deux chars connaîtront beaucoup de déboires mécaniques… Et finalement ce sera la conception de Porsche qui remportera le coup de cœur du Führer et une commande de 90 exemplaires fut lancée et la pré-production démarrera aussitôt.

Mais les choses se gâtent rapidement pour Porsche quand les deux prototypes sont testés au centre d’essai des blindés Kummersdorf au mois de juillet : contrairement à Henschel qui a fiabilisé son blindé, le char hybride de Porsche ne cessait de tomber en panne (moteur thermique en panne, câble électrique prend feu…etc) et il manquait de puissance pour franchir certains obstacles.

L’armée allemande décide de donner le feu vert à la production en série du char Tigre de Henschel dès le mois d’août, pour plusieurs raisons:

  • Le ministre d’armement, l’architecte Alber Speer, voulait que le char soit opérationnel au plus tard en septembre.
    Mais les ingénieurs Porsche n’ont pas réussi à corriger tous les défauts d’une motorisation beaucoup trop avancée pour l’époque.
  • Il était également décidé d’expédier 2 bataillons de chars lourds Tigre en Afrique du Nord : or les moteurs de Porsche sont refroidi par air, et ils souffrent déjà des problèmes de surchauffe en Europe…

Mais les allemands étaient encore indécis par rapport à l’avenir du char Tigre Porsche : la décision d’arrêter sa production ne deviendra officielle qu’à partir du mois de novembre.

PzKw VI - Tiger - Henschel

Finalement ce sera le prototype VK 45.01 (H) de Henschel qui remportera le contrat et deviendra le char mythique Tigre I qui sera produit à 1 355 exemplaires

Malheureusement Porsche a déjà produit 90 châssis et son fournisseur Krupp a également découpé les plaques de blindage nécessaires.
Pour ne pas gaspiller ces ressources, il est décidé de convertir les châssis de Tigre Porsche en chasseur de chars : la tourelle sera supprimée et remplacée par une casemate fixe, pour pouvoir embarquer un canon anti-char encore plus puissant (tube allongée pour augmenter la vitesse initial), le Pak 43/2 L/71 au calibre 88 mm.

Le blindé hybride de Porsche aura une disposition particulière où le moteur est situé à l'avant du compartiment de combat

Le blindé hybride de Porsche aura une disposition particulière où le moteur est situé à l’avant du compartiment de combat

Baptisé Panzerjäger Tiger (P) avec le surnom «Ferdinand», puis Elefant, ces 90 chasseurs de char seront tous finalisés en mai 1943 pour s’engager aussitôt sur le front russe…

Jagdpanzer Elefant au combat : un système hybride fiable

Les 90 Ferdinand seront regroupés en deux bataillons de chasseurs de chars lourds et participeront l’opération Zitadelle en juillet 1943.
Connue sous le nom de bataille de Koursk, considérée comme la plus grande bataille de blindés lors de la seconde guerre mondiale, les blindés hybrides de Porsche sont très appréciés par l’armée allemande en vue de son efficacité opérationnelle : le 653ème Schwere Panzerjäger-Abteilung réclame ainsi 320 chars détruits, pour 10 Ferdinand perdus.

Ferdinand Koursk

Ferdinand bénéficie d’un blindage frontal de 200 mm (dont une plaque d’acier au trempage superficiel rivetée) invulnérable et un canon 88 mm très précis à longue portée

Cependant, les pertes furent nombreuses car ces engins de 65 tonnes sont difficiles à rapatrier à l’arrière… Par conséquent, beaucoup de véhicules sont sabotés par leur équipage pour des pannes assez faciles à réparer en atelier. De plus, comme les allemands battaient en retraite, les véhicules perdus ne pouvaient pas être récupérés et étaient définitivement perdus.

Ferdinand Koursk saboté

Comme beaucoup de chars lourds allemands, les Ferdinand ne sont pas détruits par l’ennemi mais sabotés par leur propre équipage pour pannes mécaniques ou pour pénurie de carburant

Les points négatifs soulevés dans les rapports furent :

  • Puissance motrice insuffisante pour franchir certains obstacles
  • Les pièces en caoutchouc des roues et les chenilles s’usant rapidement
  • Les débris ou la boue tombés sous la grille protectrice du compartiment peuvant provoquer facilement un court circuit du moteur électrique (4 Ferdinand seront d’ailleurs perdus avec ce type d’incendie)

Mais contrairement à la littérature des années 80 où l’on parle de Ferdinand / Elefant comme des chars «lourds, inutilisables et régulièrement en panne», les historiens post 90 rendent justice au char hybride de Porsche grâce aux nombreux rapports allemands et russes. En réalité, il s’avère que la motorisation électrique était plutôt fiable car très peu de pannes ont été mentionnées (par ailleurs, contrairement au prototype VK45.01 (P) équipés des moteurs essence V10 Porsche, sur Ferdinand, ils ont été remplacés par des V12 Maybach HL120 plus puissants et plus fiables).
En dépit d’une situation catastrophique, 4 Jagdpanzer Elefant étaient encore en mesure de combattre à Berlin en avril 1945.

Après Ferdinand : qu’en est-il de la technologie hybride dans les chars ?

Le Dr. Ferdinand Porsche continuera de promouvoir la technologie hybride au sein de l’armée blindée allemande…et en 1944, il va développer un char gigantesque de 188 tonnes pour Hitler : le Maus (en allemand, souris…), avec une motorisation hybride aussi!

Char Maus - Hitler

Avec la fin de la guerre, le docteur Porsche ne contribuera plus aux conceptions d’armement (de toute façon il était emprisonné par la France…) … heureusement.
Et son idée de char avec motorisation hybride électrique ne sera repris qu’en 2012 par BAE systems pour un programme de véhicule blindé américain:

BAE Système Char hybride

Plus performant et plus économe en carburant… c’est après 70 ans que le système hybride essence électrique retrouve sa supériorité sur ces engins chenillés qui pèsent plusieurs dizaines de tonnes. Car en 1942, il faut savoir que le chasseur de char hybride Ferdinand consommait 667 litres/100 km sur route et … 909 litres/100 km en tout terrain (contre ~500 litres aux cents pour Tigre 2, de même tonnage, en moteur essence V12).

PS : le premier char adoptant une architecture hybride essence électrique est… français!
Il s’agit du char Saint Chaumond, produit par Schneider à 400 exemplaires pendant la première guerre mondiale : https://www.chars-francais.net/2015/index.php/engins-blindes/chars?task=view&id=61

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